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C’est par l’effet conjugué de l’entêtement et de la volonté farouche qu’on se lève en cette journée d’hiver. Il faut abandonner la couette et la douceur du foyer qui s’acharnent à me retenir pour m’équiper chaudement et enfourcher ma monture. Dès les premières lueurs du jour naissant me voilà dehors. Il fait bien froid. Une brume bien épaisse couvre la terre d’un silence paisible. L’atmosphère est d’une grande quiétude et me voilà parti…

À cette heure, personne. Et je ne croiserais personne avant un long moment. Tout est propice à la divagation du corps et de l’âme.

Rien ne bouge dans les maisons, même si quelques-unes semblent s’éveiller doucement et que de pales lumières passent par les fenêtres. Et moi, me voilà à pédaler à bon rythme sur le GR. Je prends la direction du carrefour de la Poterie après avoir grimpé la butte de Ravanne à froid. Un exercice toujours difficile. Un petit salut au chêne du pendu et me voilà à reprendre par le Robert Joly et quelques petites variantes de mon cru. Je grimpe la Ducale sans trop forcer car les jambes sont un peu engourdies. Sainte-Scariberge me voit passer et j’enchaîne sur le Grand Veneur et la mono-trace des Bruyères. C’est toujours un grand silence qui m’entoure, même si un biche ou deux traversent devant moi sur le Haut-Levé.

Partout des branches tombées lors des derniers coups de vent, des arbres abattus jonchent les sous-bois et certains ont enfoncé les clôtures; peut-être cela laissera t-il aux grands animaux un peu plus de liberté ?

Ici encore, des sangliers et des biches traversent au loin devant moi, mais je n’ai évidemment pas le temps de les saisir, il me faudrait pratiquer l’affût ce qui n’était pas le sujet de la sortie. J’évite le détour par le Fossé Broux, un de mes préférés, mais j’y retournerais, je préfère laisser le lieu protégé tranquille.

J’improvise pour rejoindre le carrefour de la Grande Brèche en serpentant un peu par des chemins peu pratiqués. Ils sont encombrés et m’obligent à mettre pied à terre à plusieurs reprises. Au moins, je ne croise personne et conserve ce bonheur d’être seul au monde et croire que les bois m’appartiennent. Toutefois, je ne suis qu’un propriétaire respectueux et de passage.

Le froid des derniers jours a figé tous les points d’eau. Les flaques ne sont plus que de glace et je m’amuse à en briser certaines en roulant dessus. Il faut être prudent, les pneus n’ont aucune adhérence sur ces terrains et la glissade vicieuse est toujours possible.

Les pluies des dernières semaines ont encombré les chemins et les rus traversent partout laissant quelques pièges d’eau. Je suis très prudent, mais c’est amusant de traverser de profonds passages à vitesse lente afin de ne pas m’éclabousser. Les craquement de la glace sont un délice à l’oreille.

Les chemins et traces sont magnifiques. Tous endormis dans l’hiver et parfois le mystère se fait par la mixité du brouillard et de la pâle lueur du jour.

C’est par des détours que je tente de rejoindre les Besnières. Ces chemins sont assez peu pratiqués et leurs encombrements sont assez nombreux; la progression n’y est pas très fluide mais c’est un grand plaisir, comme un jeu de s’y aventurer. Après quelques efforts me voici au Gîte des Hauts Besnières.

Il me semble vide et abandonné en cette saison mais j’ai tort. Derrière, il y a bien quelques voitures garées, sans doute les occupants dorment-ils encore. En tous cas, je n’aurais encore pas vu d’être humain depuis mon départ.

Je tente de rejoindre les étangs Gabriel et des Hogues mais je tombe sur une clôture, dommage! Demi-tour pour reprendre la route des Enclaves en direction de la petite Hogue. Là, je croise enfin un premier humain; un vététiste accompagné de son chien. Un petit signe de tête et un regard croisé pour échanger sur notre bonheur enfantin d’être couverts de boue.

Je reprends le GR pour rejoindre l’Étang de la Tour. Je croise deux cavaliers au pas et cet instant d’inattention me masque une traitrise; une branche glissante en travers. Me voilà à tenter de redresser le tout sur plusieurs mètres, malgré mes efforts ma bête se couche plus loin et moi avec. Un peu de peur et pas de mal, le ridicule ne tue pas.

L’Étang de la Tour apparaît de m’offre un joli spectacle. La brume cache les rives opposées et c’est magique.

En en faisant le tour, j’observe qu’enfin il s’est rempli. La dernière fois que j’y étais passé il manquait un bon mètre d’eau, là il déborde légèrement. Seuls deux pêcheurs obstinés sont à l’œuvre ainsi que deux courageux promeneurs. Mais à partir de là, je croiserais plus de monde. Je le savais bien, ces endroits sont assez courus, mais comme il sont beaux je ne peux pas m’en priver pour autant.

Je file vers l’Étang d’Or en improvisant quelques variantes avec de petites grimpettes et sur Batonceau un chêne solitaire et majestueux me fait m’arrêter un instant.

Encore de la boue très épaisse et collante, de la glace, de l’eau et me voilà à l’Étang d’Or. Il est quasiment gelé en entier, contrairement à celui de la Tour qui ne l’était que dans ses bras morts au Nord. Et ici, une troupe nombreuse de canards s’est rassemblée sur la glace. C’est assez rigolo, ils marchent sur l’eau et s’égosillent à qui mieux mieux.

Là encore, l’étang déborde un peu et les passages à sec sont maintenant impraticables.

À partir de là, je fais moins le malin. Les cuisses se rappellent à moi et les efforts trop vifs sont douloureux. Tant pis, il me faut me traîner jusqu’à la maison, je prendrais le temps qu’il faudra. Si j’évite le coin du bois où il faut relancer la machine, je ne peux contourner le vieux chemin de Saint-Arnoult. Au four à chaux, me voilà à me battre contre moi-même dans l’enfer de la boue. Ce passage finira par m’achever et la suite sera parfois pénible. Mon entêtement me fait tout de même prendre un petit détour dans le Saint-Benoît, j’ai bien fait je n’y ai croisé personne.

Enfin, depuis la butte des Vignes, Saint-Arnoult s’offre à moi toute couverte de cette brume qui n’a rien lâché de la journée. Avec prudence je descends et me voilà à traverser le centre-ville, sale comme un sanglier. Je passe encore devant l’Église où les ouailles qui discutent avec le prêtre me laissent passer avec un certain étonnement; mais j’en ai l’habitude et surtout il y a un bien un peu de provocation de ma part; je me fais un petit honneur d’y passer à chaque fois que je peux.

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Pale Rider

Cet utilisateur préfère garder un petit air mystérieux.
Il pratique des sports de nature (VTT, randonnée) dans le sud Yvelines et Essone.

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