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Le jour s’était déjà installé depuis quelques heures lorsque la maisonnée s’éveilla. Tous avaient prévu de randonner à vélo et d’attaquer les hauteurs locales, mais une certaine langueur les avait saisis. Ils démarrèrent donc par un petit déjeuner en trainant comme des guêpes autour de la confiture, des crêpes et des gâteaux tandis que le thé et le café fumait dans les tasses

Dehors d’épais nuages gorgés d’eau menaçaient, tandis que d’autres plus cotonneux filaient par en-dessous poussés par le Kornorg. Tout semblait instable et il fallu faire des choix de vêtements. Un certain optimisme gagna et ils se couvrirent pour se protéger du vent.

C’est en petits groupes détachés qu’ils partirent. Le premier double, masculin lui, avait l’ambition de vaincre les Monts d’Arrée en grimpant même quelques Roc’h à vélo. Ils s’élancèrent vers neuf heures et demi ne sachant qu’à moitié ce qui les attendaient. Mais ces gaillards ne s’en laissant pas facilement compter appuyèrent franchement dès les premiers tours de roue. Personne n’eût de leurs nouvelles jusqu’à leur glorieux retour.

Le second double, féminin lui, s’était donné un peu plus de marge, à la fois parce que la motivation n’était pas entière mais aussi parce qu’une autre représentante de la troupe était, elle, embarrassée par une violente migraine qui la clouait. Elles partirent un peu après dix heures en laissant le dernier s’équiper et prendre son temps. Un petit espoir de voir celui-ci les rejoindre les accompagnait mais elles n’en dirent rien.

Le dernier partit, seul lui, après une vingtaine de minutes.

Le charme opéra immédiatement car les premiers kilomètres étaient une succession de chemins creux, de petites liaisons de campagne, de traversées de fermes, de hameaux. La verdure, la mousse et le grès se mélangeaient en d’innombrables combinaisons pour le plaisir des yeux. L’abondance de plantes, broussailles, arbres et arbustes, combinée à leur densité était parfois oppressante, d’autant que la lumière n’y pénètre qu’assez peu et que la vue est courte. On devine alors d’où viennent ces légendes pleines de mystères, ce paganisme étrange où des créatures hantent les forêts et que des aventuriers y perdraient leur vie. Morgane, Viviane, Guenièvre, où êtes-vous désormais ? Merlin en quoi es-tu aujourd’hui ? Parfois, le trajet bordait des champs où ici quelques vaches, là quelques chevaux paissaient paisibles. Après quelques kilomètres, une bonne pluie se mît de la partie mais sous le couvert des branches déjà bien feuillues et comme cela ne dura pas, les cyclistes ne furent que mouillés.

Il fallu un bon moment et bonne allure au dernier parti pour rejoindre les précédentes, lesquelles avaient probablement nourri leur espérance du départ en n’appuyant pas totalement sur les pédales. Bref, sous les efforts soutenus de l’un conjugués à la petite paresse des autres, ils se retrouvèrent au sommet d’une petite côte. En les voyant au loin, il annonça son arrivée par un cri de bête sauvage nouvellement inventé; un mélange curieux de piaulement de poulet malade et de râle guttural censément viril afin d’induire la peur chez l’autre. Par habitude de ses bêtises sans doute, aucune des deux ne feignit même d’avoir une once de trouille.

Et donc, la triplette constituée continua joyeusement la route. C’était plutôt un quadruplet d’ailleurs, puisqu’une Setter anglaise s’était joint à elles sans doute les préférant à sa maîtresse perdue plus avant. En vérité elle avait le caractère joueur et bon compagnon comme les chiens l’ont parfois. Elle passa plusieurs longs kilomètres à aller et venir d’avant en arrière sans montrer le moindre signe de fatigue. Parfois en arrêt, comme sa condition lui ordonnait, elle humait le vent, puis reprenait aussi sec sa course folle autour d’eux. Le chemin les amena sur une portion de l’ancienne voie ferrée désormais aménagée qui relie facilement la ville de Morlaix à celle de Carhaix-Plouger au sud-est. Là, sur ce chemin presque plat puisque les locomotives détestent la grimpette, ils se laissèrent presque à flâner, simplement portés par le poids des jambes sur les pédales. Et c’est ici aussi que leur nouvelle compagne décida de changer de troupeau, elles les abandonna aussi vite qu’elle les avaient élus, par la rencontre fortuite d’un ou une de ses congénères. Et ceux-là même qui s’étaient déjà attachés à la bête, n’en furent pas plus peinés. Qu’auraient-ils pu en faire d’ailleurs ?

En chemin, le groupe rencontra une randonneuse, et une petite conversation amicale s’engagea comme souvent entre cyclistes. Il doit s’agir d’une corporation secrète qui dicte sa loi de partager des faits importants en toute occasion. Ce sont d’ailleurs les randonneurs qui sont les plus loquaces, les sportifs ont bien souvent la tête dans le guidon. On ne le sait pas quand on pédale, mais voici qu’une telle situation se produit et la secte des cyclistes bavards resserre son emprise. En tous cas, elle avait le très joli projet de rallier Dunkerque en trois semaines par les chemins côtiers et allait chercher un ami sur Carhaix pour parfaire son aventure. Bien évidemment ils la quittèrent par de sincères encouragements puis abandonnèrent la voie à hauteur d’une vieille gare désaffectée.

Avant d’attaquer les Monts, les trois partirent à la quête d’un peu d’eau qui manquait déjà dans les gourdes. C’est dans une petite fermette, sur un bord de route, qu’ils l’obtinrent. Ils furent servis par un gaillard d’allure bourru mais qui ne devait qu’être une bonne patte un peu frustre comme souvent les gens de la  campagne. Son petit chien un peu trop entreprenant avec les visiteurs fût vite remis à sa place; il venait de vivre un peu durement la rudesse de son maître.

C’est à peine plus loin que d’un coup les arbres disparurent et que la lande vida l’espace enfin découvert, laissant le regard passer au loin. Un contraste des sens surprenant. Déjà un peu en hauteur, ils virent la campagne à perte de vue, les Monts et leurs Roc’h un peu partout. Évidemment le vent aussi profitait de la situation et comme la route se faisait vers l’ouest, c’est de face qu’ils le prirent. Ils s’engagèrent dans la longue montée sans faiblir. Le rythme était assez soutenu pour monter assez vite mais bien contrôlé pour ne pas s’essouffler de trop, des paroles même y avaient leur place.

Le chemin était un peu creux ce qui les protégeaient partiellement du vent car pédaler en montant et contre le vent n’est pas aisé, la grimpe suffit bien à l’effort. Une fois sur les hauteurs, un arrêt s’imposa car une décision importante était à prendre. Devaient-ils continuer et tenter l’aventure comme le premier groupe ou fallait il redescendre au point de départ qui était en contrebas ? Finalement, la carte topographique aidant ils redescendirent par la lande pour rentrer tranquillement.

La descente ne présentant pas de difficultés, ce fût donc un bon petit plaisir que de se laisser guider par le chemin de petite randonnée. Une fois en bas, ils s’autorisèrent alors la visite de l’Abbaye du Relec, puis, rejoignirent le gîte où la migraine avait enfin disparu.

Peu après c’est l’athlète de service qui débarqua. Il avait accepté la proposition de son compère de le laisser continuer seul car un peu en retrait. Mais contre toute surprise, ce dernier arriva bien peu de temps après, à son rythme certes mais visiblement à bon rythme tout de même. Les deux purent alors partager leur expérience puisque la seconde partie du trajet qui devait contenir de belles petites difficultés n’avait semble-t-il, pas failli à sa promesse. C’est aussi une caractéristique très classique des cyclistes que de se raconter encore et encore le trajet qu’ils viennent juste de parcourir. Sans doute une bonne façon de partager le plaisir pris et de le ranger bien mieux dans son propre esprit.

Et c’est encore dans la bonne humeur, de celle dont ils sont coutumiers mais jamais lassés, qu’ils prirent un repas bien mérité.

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Pale Rider

Cet utilisateur préfère garder un petit air mystérieux.
Il pratique des sports de nature (VTT, randonnée) dans le sud Yvelines et Essone.

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